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RIQUET

C’est l’histoire d’un prince et deux princesses. Et d’un roi pressé de marier ses filles pour se débarrasser de sa couronne. Mais le prince est né vilain et les deux princesses du pays voisin sont pour l’une belle et stupide, pour l’autre laide et formidablement intelligente. La pièce s’amuse des stigmatisations et des déboires du bouc émissaire, de la première de la classe et de la reine de beauté. Pour que naisse l’amour, il faudra envisager l’autre et soi-même non pour ce qu’il est mais pour le devenir qu’il porte en lui.

Extrait :


« Quinze années plus tard »

(Bips de cardiogramme et souffles de respirateur artificiel.)

(Sublima et Mimi Pédia entrent par la salle. Chacune de son côté, elles se dirigent vers la scène. Triviales et mystérieuses, des apparitions. Elles portent quelque chose qui évoque une pèlerine à capuchon - l'une rose et l'autre rouge. Un sac en papier plein de fleurs pend au bout de leur bras. Leurs vêtements sont imprégnés de fragrance florale.)

(La couronne du roi apparaît au dessus d'un paravent, elle a doublée de volume.)

Le Roi(Profonde inspiration.)

Mes filles... C'est le tout début de la saison des fleurs. Aussi ténus soient-il, leurs parfums viennent jusqu'à moi par la grâce de vos présences radieuses.

(Profonde inspiration.)

Je suis cloué ici, maintenant. Esclave d'une batterie de machines. Thermomètre, cardiogramme, tensiomètre, respirateur, sonotone, microphone, perfusion. On m'assoit le matin et on me couche le soir. Chaque jour, il faut renforcer le corset qui m'aide à porter cette couronne qui n'a jamais été aussi lourde. Je ne vois plus grand chose. Mais mon nez, heureusement, mon nez ne vieillit pas. Vous n'avez pas besoin de me raconter les dessins des nervures, le pelage des pétales, les petites boules de pollen accrochées aux pistils. Toutes les fleurs dont je me suis enivré reviennent me voir. Elles sont là, dans votre sillage.

(Profonde inspiration.)

C'est le début de la saison des fleurs à Matriona. Des farandoles de promesses papillonnent dans l'air. Comme il y a bien longtemps je suis venu à Matriona. Pour votre mère. De tous les royaumes de notre royaume, des princes vont venir. Pour vous.

Mimi Pédia – Père. Je préfèrerai ne pas y aller. De toute façon, il n'y en aura que pour Sublima et personne ne s'intéressera à moi.

Le Roi – Ma tendre Mimi Pédia. Tu as pour toi le plus brillant des cerveaux, la moindre de tes réflexions contient des lumières qui peuvent éveiller le plus sombre crétin.

Sublima – Père, père. Comment dire... Ha ben voilà, c'est toujours le même problème : c'est là dans ma tête, et au moment de le dire c'est plus totalement là. C'est que je suis vraiment... comment on dit déjà... Enfin, je suis carrément, mais carrément idole...

Mimi Pédia – Idiote !

Sublima – Idiote, oui, c'est ça le mot que j'avais oublié. Je suis idiote idiote idiote. Alors devant les princes.... comment dire...

Le Roi – Ma tendre Sublima, tu as pour toi la plus radieuse des beautés. Le moindre de tes gestes est un enchantement de grâce et d'élégance. Mes adorables princesses. Parmi tous les princes qui vont venir de tous les royaumes de notre royaume, il y en aura un. Il ne pensera rien de ce que vous êtes, de ce que les autres diront que vous êtes, en bien ou en mal, il n'en pensera rien. Il sera comme envouté par une certitude, celle de ce qu'il pourrait devenir, en restant à côté de vous. Pour chacune de vous, il y en aura un. Vous ne penserez rien, de ce qu'il est, de ce que les autres disent qu'il est, en bien ou en mal, vous n'en penserez rien. Vous serez comme envoutées par une certitude, celle de ce que vous pourriez devenir, en restant à côté de lui.

Mimi Pédia – Mais père, si c'est pas le même ? Celui qui nous fait ça et celui à qui on fait ça ? Si c'est pas le même... comment on fait, si c'est pas le même ?

Le Roi – Mais ce sera le même, ça ne manquera pas d'arriver, je ne vois pas comment ça pourrait ne pas être le même.

Sublima – Mais père, ça peut arriver ? Ce que dit Mimi Pédia, ça peut arriver ?

Le Roi – … A des princesses, non... Ca ne peut pas arriver à des princesses.

Mimi Pédia – Et quand ça arrive à des non-princesses, alors ? Il se passe quoi quand c'est pas le même.

Le Roi – Et bien... C'est compliqué ! C'est très très compliqué. Autre chose : dans les vieux textes, il est dit que la première à qui cela arrivera, partira avec son prince et ira se faire couronner dans son royaume lointain. Et la deuxième, quand ça lui arrivera, elle viendra m'enlever cette couronne que je ne peux plus porter. Elle couronnera son prince, et ainsi elle deviendra reine de Matriona.

Mimi Pédia – Et si ça ne lui arrive jamais, à la deuxième ? Si ça ne lui arrive jamais, faudrait qu'elle fasse semblant que ça lui arrive pour devenir reine de Matriona ?

Le Roi - Pourquoi faut-il toujours que tu invoques des problèmes qui ne sont pas là ? Ecoutez-moi bien. Quand les portes du palais vont s'ouvrir aux princes, et cela ne va pas tarder, c'est tout le tumulte du monde qui va venir avec eux. Il va y avoir beaucoup de bruit, beaucoup beaucoup de bruit autour de vous. Si jamais la tête vous tourne, et cela ne manquera pas d'arriver, que vos oreilles bourdonnent, cela ne manquera pas d'arriver, que votre vue se trouble, cela ne manquera pas d'arriver, que votre ventre se noue mille fois plus que maintenant, cela non plus ne manquera pas d'arriver... Parmi tout ce que vous craignez... la plupart ne manquera pas d'arriver. Et tout ce dont vous n'avez pas idée... cela non plus ne manquera pas d'arriver. Que cela vous embrase ou que cela vous glace. N'oubliez pas que des murmures de fées sommeillent en vous. Il faudra apprendre à se remplir de silence. Un silence si dense que le vacarme brouhaha s'éloignera. Et il faudra entretenir ce silence... jusqu'à ce que ces toutes petites voix se réveillent en vous.

(Le Roi disparaît.)

Sublima – Mais père... Oh, j'ai encore oublié !

Mimi Pédia – Mais père...

Sublima – Oui ben justement j'oublie tout. C'est bien ça le problème. J'oublie tout, tout le temps. Comment je vais faire pour me rappeler que je dois faire silence dans ma tête pour entendre les petites voix ?

Mimi Pédia – Moi, il y a tout le temps tout le temps des pensées qui se parlent dans ma tête. Ca ne s'est jamais arrêté. Alors peut-être que ça marchera pas chez moi de faire silence. Et si ça marche, y'a tellement de voix dans ma tête, comment je saurai que c'est la bonne.

Le Roi (Off) Voici une paire de boucles d'oreille. Elles appartenaient à votre mère. Prenez en une chacune. Elles sont magiques.

(Comme par magie, Mimi Pédia et Sublima ont chacune une boucle d'oreille dans leur main.)

Si celle que vous portez se met à clignoter, c'est que votre sœur à besoin de votre aide pour... Chuut... Ils arrivent...


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