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MINI-RIQUET

Chacun leur tour, Riquet, puis Sav, puis Mimi pédia surgissent dans la classe, la tête cachée dans un sac en papier et digressent autour des problèmes liés à leur apparence.

Extrait :


Bonjour ! Moi c'est Riquet !

Quoi ? Qu'est-ce qu'y a ?

(désignant le sac sur sa tête)

C'est ça, là ? Ça vous dérange ?

Mais si je l'enlève... qui dit que vous n'allez pas partir en courant et faire des cauchemars affreux pendant les quinze prochaines années ? C'est ce qu'on dit...

On dit que je suis tellement laid plus laid que le plus laid des laids, oui, que si je me regarde dans un miroir il se brise en mille morceaux.

Et ben c'est pas dit ! Même si y'a des on qui le dise et qui fait que ça se dit des trucs du genre « Riquet, on dit qu'il est tellement moches plus moches que le plus moches des moches que si il se regarde dans un miroir il se brise en mille morceaux » ... Et ben, en vrai, personne n'en sait rien, « on » n'en sait rien, vous n'en savez rien... et même moi je ne le sais pas. Parce qu'en vrai, c'est jamais arrivé. Que je me regarde dans un miroir...


Manquerait plus que je le fasse et que le miroir se brise... J'aurai pas l'air malin. « On » aurait raison.


On m'a dit que si je venais vous voir vous alliez partir en courant, en hurlant, en pleurant, et que jamais plus vous ne reviendrez ici parce que vous auriez peur que je sois encore là...


Hé ben, on sait pas. « on » saura jamais. Parce que ça, je suis pas prêt de l'enlever.


... enfin... des fois... comme là... là maintenant... ça me démange... j'ai presque envie d'essayer... de voir ce que ça fait... Mais faudrait que je sois sûr... Absolument certain d'être bien plus horrible que le plus horrible que vous êtes en train d'imaginer... Dix mille fois plus...


Pardon... C'est pas que... J'n'ai rien contre vous...

Et puis faudrait déjà que je sois sûr...


D'abord, j'en ai eu marre des blagues. Ces blagues entre eux qu'ils se faisaient pour rire de moi, mais sans moi. Elles étaient vraiment bêtes et vraiment méchantes. Donc, vraiment drôles. Si par malheur ça me faisaient rire, ces blagues à propos de moi.... bim bim bim... punching-ball.


Un insecte rampant... vous savez quand on est petit... Un jour, on s'ennuie et puis sans savoir d'où ça nous vient, on va torturer une araignée ou une fourmi... Elle vient même pas nous embêter... Non, c'est pas avec celle-là qu'on s'amuse... Elle passe par là, c'est tout... Et celle-là... On va lui faire les pires misères, juste pour se distraire... Pour tenter de tromper l'ennui...


Et puis, y'avait ma mère... Ma mère, ça la rendait triste que je m'en sorte pas mieux. Elle se disait que c'était sûrement de sa faute. Ca dépendait des jours, un peu, beaucoup ; moi ça me brisait les nerfs, beaucoup beaucoup, à la folie.


Mais pas du tout !

Y'a pas de quoi. Y'a vraiment pas de quoi.

Il a fallu qu'à l'époque où naît le prince Christophe Riquet, c'est à dire : moi, il a fallu qu'à cette époque, c'est à dire : aujourd'hui, le monde a décidé qu'être beau c'était comme ça et comme ça. Et manque de bol : dès mon plus jeune âge, j'étais tout l'inverse. Et double manque de bol : avec les années, ça n'a fait qu'empirer.


Y'a quand même de plus en plus de beaux. Vous trouvez pas ? Y'a de plus en plus de gens beaux. Comme si tout le monde pouvait être vraiment beau ; mais personne ne le devient jamais vraiment. Y'a de plus en plus de gens beaux ou y'a de moins en moins de gens moche ? Ils sont passé où les moches ? Les vrais moches ? Vous trouvez pas ça louche ? On en voit quand même de moins en moins, des moches... non ? Ou peut-être qu'ils se cachent ? Là, où on ne peut pas les voir. Ils sont peut-être beaucoup plus nombreux que les beaux.


...


J'étais en colonie. Ouais, vous vous dites, en colo, le moche ce qu'il a dû manger ! C'est pas si pire. Une colo, on sait quand ça s'arrête. Mais une vie, une vie entière, comme un insecte, on a l'impression que ça ne finira jamais. Bon. Il y avait un gros orage. Une tempête. C'était le dernier soir. Le pire de tous. On est tous obligé de participer à une sorte de fête. Tous parqués, piégés dans la même pièce. Je sais bien qu'à la fin, quand tout le monde s'ennuie, qu'il n'y a plus rien à faire, je sais que ça va me tomber dessus. Faut surtout pas se montrer, faut rester dans l'ombre, dans les coins, dans l'espoir de se faire oublier. Avec cette impression que ça ne finira jamais.


Et sans prévenir, c'est le noir. Plus du tout du tout de lumière. Le noir complet. Terreur générale.


Sauf moi.


Le noir, je le connaissais bien. Le noir des placards pour pas qu'on me trouve à la récré. Le noir des coffres de voiture dans lequel on a mis des boules puantes. Le noir des sacs poubelles sur la tête pour me faire marcher dans les crottes de chiens...


Ce noir là, eux, ils n'y avaient jamais mis un pied, dans ce noir là. Tout le monde hurlait, pleurait, tremblait. Y'en avait plus un seul pour faire le malin.


Sauf moi.


Sans lumière sur eux, les beaux, ils ne sont plus rien. Et sans lumière, les moches, ils peuvent être tellement moches qu'on ose même plus les approcher. Et j'en ai bien profité. J'leur ai mis les pétoches. Toute la nuit. J'étais un fantôme, une grosse bête, un monstre, un vampire, un zombie... C'est pas que je voulais me venger. Mais je pouvais pas m'en empêcher. Je venais d'entrer dans mon territoire. Le territoire de la nuit noire.


Et puis j'ai disparu. Dans la plus sombre forêt, dans la région la plus reculée du royaume, là où le soleil ne perce jamais. C'est devenu chez moi.


Comme je n'étais plus là, les beaux, ils ont choisi quelqu'un d'autre. Parce qu'au milieu de tous les beaux il faut quand même bien un moche. Pour être bien sûr qu'on est beau puisqu'on est pas comme lui.


Et puis, ils sont venus. Ceux qu'on ne voulait plus voir. Ceux qui n'en pouvaient plus d'être vu. Ils sont venus rejoindre le royaume où il fait toujours noir. Et comme j'étais soit disant moche plus moche que le plus moche des moches, je suis devenu prince, le prince Christophe Riquet, le premier prince de la nuit.


Un jour, la plus belle plus belle que la plus belle des plus belles princesses, un jour, elle en aura marre de sa beauté. Elle en aura marre qu'on la regarde tout le temps. Et elle viendra au royaume de la nuit. Pour y cacher sa beauté. Et nous nous marierons. Elle sera ma reine. Et tous les beaux qui se disent beaux, d'un coup, ils auront moins envie d'être beaux.

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